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Stress et changement

L’actualité économique et sociale manifeste une "crise" au sens propre, c'est-à-dire, au-delà de l’acception dramatisée du terme, une transformation. Les facteurs de stress sont nombreux, se cumulant dans les domaines économique, social, psychologique. C’est le moment de s’interroger ici sur les relations entre le stress et le changement et sur la façon de les conjuguer au quotidien et à long terme.

Tout changement est un facteur de stress

Corinne est comptable, employée dans un établissement financier depuis de nombreuses années. Elle a rejoint un nouveau service depuis quatre mois grâce à la mobilité interne. Elle a d’abord perçu l’offre qui lui a été faite comme une marque de confiance. Puis, rapidement, elle a montré les signes physiques, psychologiques et émotionnels d’un stress important à la perspective de ce nouvel emploi qui a atteint son paroxysme à quelques heures de sa prise de fonction et l’a plongée dans l’angoisse.

Julien quitte son studio de célibataire pour s’installer dans son nouvel appartement avec son épouse. Il se mobilise fortement pour la préparation de ce grand jour pendant plusieurs semaines. Il est heureux et enthousiaste. Le déménagement se déroule dans la joie et la solidarité affectueuse de ses amis. Trois semaines plus tard, Julien tombe subitement malade et présente parallèlement des symptômes dépressifs.

Dans notre existence, certains évènements sont des agents de stress majeurs : un déménagement, un mariage, une naissance, les fêtes de fin d’année, le décès d’un proche, un nouvel emploi… Dans l’entreprise, une nouvelle organisation, un nouvel outil de travail, le resserrement des conditions de travail, des tensions relationnelles (1), etc., sont des changements comportant d’importants facteurs de stress.

Tout changement est un agent stresseur. Le niveau de stress est tributaire de l’ampleur, de la nature et du processus de ce changement. Imposé et inexpliqué, poussé et forcé (2), il est subi ; il induit alors chez les personnes qui l’endurent la passivité, l’adaptation, la suradaptation ou la rébellion. Dans ce cas, les intéressés vont d’abord chercher à se protéger et à garantir leur intégrité physique et psychique. Négocié, expliqué, conduit de façon harmonieuse, en régulant les tensions qu’il génère, le changement constitue une occasion pour les acteurs de s’ajuster. Ils peuvent ainsi maintenir leur homéostasie et leur place dans le système sans à-coups (3).

Le stress lié au changement est multifactoriel : les facteurs externes et factuels résonnent avec des processus internes et subjectifs propres aux individus.

Dans la perspective du présent article, retenons parmi les facteurs externes et factuels :

  • un brusque revirement du contexte de l’entreprise,
  • les fréquents changements d’orientation,
  • l’instabilité organisationnelle,
  • des incertitudes sur l’avenir et notamment sur l’avenir professionnel,
  • des explications incomplètes sur les motifs d’un changement,
  • le rythme rapide d’évolutions qui se succèdent et/ou se superposent et/ou se contredisent.

Parmi les processus internes et subjectifs propres aux individus, retenons que :

  • des changements antérieurs non "digérés" demeurent des expériences ouvertes et provoquent des frustrations dont l’inconfort ou la souffrance sont réactivés par le nouveau "changement",
  • tout stress provoque chez les personnes des réactions adaptatives répondant à un schéma fait d’automatismes, rigides et répétitifs, construits au fur et à mesure de leur histoire (4).


Résistance au changement et résistance au stress ?

"Changer" c’est quitter une situation pour entrer dans une autre. Cela signifie d’abord se séparer de la première. Puis, il convient d’accepter les conséquences de cette séparation (rien ne sera plus comme avant). Ensuite, il sera possible d’intégrer l’expérience. Enfin, il sera temps d’entamer un processus d’acclimatation à la nouvelle situation.

Depuis l’aube de l’humanité, l’espèce humaine n’a eu de cesse de repousser les frontières de sa connaissance et d’aller vers de nouveaux horizons. En outre, une grande part de notre existence est consacrée à ce processus, changer et s’ajuster à notre environnement. Alors, pourquoi résister à ce qui semble si "normal" ?

La tendance naturelle d’un individu est de privilégier les choix qui, aisément, habituellement et par automatisme, lui semblent les plus maîtrisables. Ce sont des décisions qui, au regard de ses expériences et de ses conclusions, comportent les risques de stress les moins élevés. Or, le stress est d’abord un phénomène physiologique : tissus et organes en sont affectés, d’où douleurs et pathologies (5). C’est aussi un phénomène qui affecte les besoins affectifs et psychologiques (1). La résistance au stress coïncide donc avec la nécessité pour chaque personne d’assurer son intégrité physique, de maintenir son orientation dans son environnement et de garantir son équilibre social.

Tout changement, surtout s’il est décidé par d’autres, bouscule cet équilibre, constituant un facteur de stress du simple fait de sa survenance.

D’autre part, la perception des changements s’opère dans la complexité de l’existence : un changement d’emploi, d’organisation du système ou dans les conditions de travail présente pour la personne des enjeux directement professionnels Au-delà, ils sont par définition personnels : physiologiques, psychologiques, affectifs, familiaux, sociaux et historiques.

Or, les choix adaptatifs sont complexes et les motivations qui les sous-tendent peuvent entrer en compétition. Les dilemmes sont inévitables et peuvent constituer une source d’évolution pour tout un chacun. Mais, en fonction de son histoire, aucun individu ne répond aux sollicitations d’un changement de façon identique aux autres. Les automatismes évoqués précédemment sont une réponse ciblée et dépendent de la lecture que les individus font des circonstances présentes. Selon la traduction qu’ils font des risques de stress, ils traduisent la réalité et lui donnent le sens que leur histoire justifie. Ce sens donné au changement est susceptible, en soi, de constituer une donnée subjective se surajoutant aux agents stresseurs externes et factuels.

Dans ces cas, la résistance au changement a pour fonction de maintenir un équilibre précaire sans accroître la tension interne.

Enfin, la question des ressources est essentielle pour aborder la question de la résistance au changement dans la perspective de la résistance au stress. "Ai-je les ressources (6) pour faire face à ce changement ?" constitue la question que ne se posent pas les personnes qui résistent par principe à tout changement. "Si je n’ai pas ces ressources, qui peut me le fournir et quelles demandes puis-je faire pour obtenir celles qui seront adaptées à cette nouvelle situation ?": autre questionnement absent.

Les croyances sur l’insuffisance des ressources personnelles ou collectives sont une puissante poche de résistance qui entrave l’émergence de ces interrogations nécessaires et bénéfiques. Un autre équilibre est "challengé" par le changement : celui qui est perçu entre, d’un côté, le problème posé à la personne qui y est confrontée et, de l’autre, les ressources pour le maîtriser, l’intégrer et le dépasser. Lorsque salariés ou managers estiment que le problème posé par le changement est plus "gros" que les ressources consciemment disponibles, le niveau de stress s’élève et la résistance à ce dernier peut constituer un frein puissant (7).

En pareil cas, le changement peut être perçu comme un danger. Et stress qui s’en dédit.


Conjuguer, dans l’entreprise, les 4 « i » : insécurité, impermanence, instabilité, imprévisibilité

L’Incertitude est le lot de toute personne, quelque soit son statut : personne ne sait par avance le résultat d’un changement et plus il est ample et systémique moins il est aisé d’anticiper ses effets. A ce premier « Ii» qui s’impose comme un principe, il en est quatre autres qui sont plus aisément et nécessairement maîtrisables pour la conduite des changements harmonieux et efficaces.

L’Insécurité

L’insécurité est un sentiment inhibant les ressources des personnes qui l’éprouvent. Tout changement, quelqu’en soit la nature, qui est voulu par le management d’une structure où règne l’insécurité est voué à l’échec. La sécurité étant le besoin basique des personnes en relation avec un environnement humain, si ce besoin est en souffrance, cette frustration comporte un risque majeur de contamination dans l’appréciation de la réalité.
Que cette dernière entre en résonance avec d’anciennes (8) expériences douloureuses et le "changement" peut même devenir un tabou. Les entreprises dans lesquelles des plans sociaux ont eu lieu, aboutissant à une diminution drastique des effectifs sont, encore bien des années plus tard, confrontées à la rigidité des comportements, illustrative du sentiment d’insécurité qui y subsiste.

L’Impermanence

"Rien ne dure, tout se transforme" dit l’adage. Un revirement du marché, une tension internationale, une OPA, le départ d’un collaborateur compétent en sont quelques exemples. Certains peuvent être brusques, d’autres anticipés.

Gérer l’impermanence consiste à conjuguer la mémoire des évènements (l’histoire de l’entreprise) et celle des évolutions qu’elle a traversées. C’est l’enjeu de la capitalisation des expériences, des réussites et des difficultés, des ressources qui ont été mobilisées, des inventions qui ont permis à l’entreprise de progresser. Cette capitalisation mérite d’être partagée et conscientisée par toutes les unités, toutes les personnes et tous les échelons car elle est le puits de la créativité de tous.

La conscience partagée et saine de l’impermanence favorise l’émergence de la culture du changement, sur le mode constructiviste.

L’Instabilité

Maîtriser l’instabilité de la structure revient à assurer la régulation des flux (d’informations, d’énergie, d’activité,…). Il s’agit, d’une part de maîtriser des processus internes et externes appropriés. Il s’agit d’autre part d’amortir les conséquences des variations de l’environnement sur l’entreprise, exactement comme un navire qui, par gros temps, poursuit sa route.

Trop de personnes, salariés comme managers, subissent les conséquences de l’instabilité de l’environnement et souffrent d’un stress conséquent. L’accroissement de leurs tâches au-delà du supportable, la pression permanente sur les objectifs ou encore la compétition interne sont autant de circonstances qui s’ajoutent à la pression de l’environnement. Les prévisions assurent un rôle éminent d’anticipation sur les ressources et les moyens à mobiliser. Elles ont une fonction de prévention contre les effets d’un grain, comme disent les marins.

La stabilisation du système passe aussi et surtout par l’efficience des individus dans la dynamique de l’espace collectif de travail. Les fonctions de ce dernier sont précisément la régulation des flux, la mobilisation des potentiels et la solidarité des forces. Changer peut alors être perçu comme un ajustement dans un itinéraire qui sera d’autant mieux accepté que le maintien du cap par le capitaine est perçu.

L’Imprévisibilité

L’imprévisibilité est différente de l’incertitude. L’imprévisibilité est affaire d’attitude et de comportement. Les variations intempestives, rapides, non annoncées, contradictoires sont une source majeure d’insécurité : personne ne sait vraiment quelle lubie sortira du chapeau ni à quel moment elle apparaîtra et encore moins comment les effets (négatifs) en seront gérés. Lorsque ces variations sont présentées comme des "changements" et que, circonstance aggravante, elles sont le fait d’un manager, toute réforme, même nécessaire, devient sujette à caution. Elles discréditent aussi ceux ou celles qui s’y adonnent, cette conséquence étant l’autre face de la médaille.

A l’inverse, la continuité et la régularité des comportements (donc prévisibles) du management sont une source de sécurité et de mobilisation. Ses demandes seront perçues dans leur justesse et leur pertinence. Si un changement, d’orientation, d’organisation ou des conditions de travail est annoncé et conduit avec la même prévisibilité, il sera aisé de le partager comme une occasion d’évolution.


Conclusion

En chinois, le mot "risque" s’écrit avec le même idéogramme que le mot "chance". Que ces quatre « i » soient maîtrisés et tout changement peut être vécu non plus seulement comme un agent stresseur mais encore comme une opportunité, une expérience à tenter qui pourrait bien devenir une ressource pour l’avenir à long terme.

Et si la "crise" que nous traversons avait comme effet d’ouvrir des espaces de compréhension des vertus du long terme, de la solidarité, de la créativité et du partage ?...


Christian Thibout
Certifié QPM®
Consultant Coach - Psychothérapeute – Débriefeur
Membre du réseau Stress Experts


1 Voir mon article dans la newsletter QPM de janvier 2009.
2 Ex : "il faut le violer pour qu’il change" affirme ce manager à propos d’un de ses collaborateurs qui, lui, ne supporte plus les revirements intempestifs de son supérieur.
3 "C’est obligatoire de procéder ainsi avec les factures fournisseurs ?" demande cette employée à sa nouvelle responsable opérationnelle. Celle-ci répond simplement "oui". En cela, elle rompt avec l’indécision insécurisante de son prédécesseur. La responsable poursuit : "de quoi avez-vous besoin pour que ce changement soit aisément réalisable pour vous ?". L’employée a répondu : "de rien, je vais changer mes habitudes. Merci". Le changement le plus significatif pour l’employée ne réside pas dans la modification d’une procédure mais dans une relation sécure avec son manager.
4 Cf. Le système scénarique en analyse transactionnelle dans sa perspective intégrative.
5 Cf. les troubles squeletto-musculaires.
6 Les connaissances, l’expérience, les outils et les moyens…
7 "Le stress survient lorsqu’il a déséquilibre entre la perception qu’une personne a des contraintes que lui impose son environnement et la perception qu’elle a de ses propres ressources pour y faire face" - Agence européenne pour la santé au travail - INRS
8 La peur est l’émotion du passé : nous avons peur de revivre les conséquences de circonstances dont nous avons souffert et la peur nous permet de repousser l’inconfort, la douleur, la souffrance que nous avons déjà éprouvés.

 
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