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Sur le diagnostic d’entreprise

Fréderic Winslow Taylor définit les bases scientifiques de la révolution industrielle du XX siècle. Le taylorisme va alors accompagner l’expansion industrielle au point d’être rapidement caricaturé par Charlie Chaplin dans Les Temps modernes. Cette conception du travail n'était certes pas dénuée d'utilité mais elle assujettit l’homme à la machine. Si cette théorie devint le rêve des patrons, elle devint aussi l’enfer des employés. Elle a contribué à créer une divergence entre les classes sociales, dont on essaye encore aujourd'hui de réparer les séquelles.

 

L’homme a évolué et les conditions sociales et culturelles du XXIème siècle appellent un nouveau paradigme, un nouvel espoir et une nouvelle vision du monde. La crise financière que nous traversons entraîne d'ores et déjà une crise économique, susceptible de dériver très rapidement vers une crise sociale et politique. Mais simultanément cette crise pose les bases et sème les germes d’une nouvelle conception du travail. C'est dans cette perspective que nous proposons une approche résolument humaniste, qui permettrait de concilier les aspirations de l’homme avec les contraintes de son environnement, tant familial que professionnel mais aussi social et environnemental.

L’idée nous est venue de considérer l’entreprise comme un être vivant et de lui appliquer, à ce titre, les mêmes approches qu’à l’être humain, en abordant comme des « maladies » les dysfonctionnements qu'elle peut rencontrer. L’entreprise se heurte en permanence à de nouvelles législations, de nouvelles données économiques, financières etc... L’entreprise souffre, a mal, elle est malade. Poussons plus loin ce raisonnement et envisageons des « médecins de l’entreprise » : quel serait alors leur rôle, leur action?

Pour le définir, nous avons suivi la démarche du médecin face au patient, et par analogie nous l’avons transposée à l’entreprise vue comme « être vivant ». Tout d’abord, le médecin doit pressentir quel but le patient lui-même assigne à la consultation : savoir ce dont il souffre ? Etre rassuré et pouvoir se persuader que sa maladie n’est pas si grave, que le traitement peut être remis au lendemain ? Se plaindre à quelqu’un qui enfin va l'écouter ? Avoir fait le premier pas vers la guérison mais ne pas aller au-delà, de crainte de ne plus être à plaindre ? Vient ensuite la question de ce que l’on attend du médecin : la guérison immédiate, l’arrêt de la douleur, la jeunesse retrouvée ? Sur ce point l’entreprise a un avantage sur l'être humain : elle peut rajeunir ! Ceci mis à part, tous ses autres symptômes sont très proches de ceux qu'un individu peut avoir.

Le diagnostic d’entreprise tel que nous le concevons se propose comme une approche scientifique, méthodique et donc transmissible. Les phases tant de prophylaxie que d’application des remèdes ou encore de suivi ne seront pas abordées dans cet article. L'accent sera mis sur ce qui nous permet de saisir les troubles qui atteignent l’entreprise c'est à dire le diagnostic en tant que tel, tout comme chez l’homme c’est le bon diagnostic qui permet de prendre en charge sans délai l’origine du mal. Dans le monde de l'entreprise, ce diagnostic est à ce jour généralement distribué par des « gourous », anciens chefs d’entreprise ayant une forte expérience et un grand charisme qui se portent au chevet d’autres sociétés gérées par leurs confrères mais dont la science n’est guère transmissible. Notre approche s'en distingue nettement par son caractère scientifique, basé sur une méthode et de ce fait transmissible par formation.

Le diagnostic est certes un art, mais un art qui repose sur une approche méthodique comportant tout une forme de raisonnement, de déduction logique, reposant en partie sur une auto formation et progressant par expériences successives, mais aidé par des recherches dans les domaines de la physique, de la chimie, de la biologie et d’autres sciences. Le diagnostic est un acte de réflexion rapide, synthétique, précise, qui se veut le plus indépendante possible de la personne qui le pose, basé sur l’observation, le questionnement du « patient », l’acquis des connaissances passées, la prise en compte enfin du contexte général (condition de vie, d’hygiène, de climat, de santé publique locale etc.). Pour autant, ce n'est pas de médecine que nous parlons mais bien de diagnostic d’entreprise ; l'analogie que nous développons permet de mieux caractériser notre démarche et de faire sentir toute la différence entre notre approche de type diagnostic et celle d’un audit classique : celle-ci s’apparente plus à un cliché radiologique, qui certes retrace dans les moindres détails l’intérieur de l’organisme mais ne livre qu'une photo inerte, sans vie, froide de la situation.

Au lieu de nous appuyer uniquement sur les données chiffrées, écrites, que l’on peut recueillir dans l’entreprise, nous nous intéressons aux liants de la société, aux flux, aux personnes. Nous essayons de saisir la dynamique de l’entreprise au lieu d’en faire une photo. Notre méthode s’appuie sur plusieurs types d’outils afin de s’assurer de l’objectivité des données recueillies et de pouvoir en tirer un diagnostic. De même qu'un médecin pose des questions d'abord d’ordre général puis de plus en plus précises, de même nous graduons nos questions, en nous adressant non à une seule personne mais à l’ensemble de l’entreprise, à cet agrégat d’hommes et de femmes qui en constituent la vie. La subjectivité de chacun, que la méthode d'investigation et la structure même des questions permettent de prendre en compte, est transformée en une objectivité collective sur laquelle nous pouvons nous fonder pour en déduire des modes de fonctionnement et plus particulièrement des dysfonctionnements. Les analyses chiffrées faites à partir des données financières s'y ajoutent, mais elles sont menées dans l’optique d’analyser la création de valeur ajoutée et son potentiel de développement. Enfin des outils dynamiques tels que les analyses de flux (humains, financiers, de matières, de documents, d’information de toutes sortes) restituent toutes les interactions entre les différents organes de l’entreprise nécessaires les uns aux autres (finances, ressources humaines, qualité, légales, normatives, productives, achats, logistiques, etc.).

Le plus important n'est pas la nature des données recueillies ni celle des outils utilisés, mais l’esprit dans lequel nous procédons et qui permet selon des protocoles établis d’orienter correctement la recherche des dysfonctionnements de l’entreprise.

L’interaction entre les équipes qui mènent à bien ce diagnostic et le personnel de l’entreprise s’opère en général très rapidement, sachant que le premier objectif à atteindre est la confiance du personnel. Dès que le médecin apporte son sourire au malade celui-ci se sent rassuré, et il en est de même pour l’équipe qui va réaliser le diagnostic. Il lui faut apporter un dynamisme et une convivialité capables d'opérer immédiatement cet effet, facilitant ainsi la collecte d’informations mais aussi la mise en évidence des dysfonctionnements. Définir et préciser ces dysfonctionnements permet déjà de résoudre en partie les difficultés, de sorte qu’à la fin d’un diagnostic une dynamique autre est déjà perceptible dans l’entreprise, des amorces de solution s'ébauchent. Le remède est néanmoins nécessaire et il faudra apporter des outils supplémentaires pour permettre le rétablissement complet des fonctionnements atteints.

En quoi cette méthode est-elle scientifique ? La science se caractérise d’une part par sa capacité à prévoir les effets une fois les causes bien identifiées et d’autre part par son indépendance à l'égard de la personne qui met en œuvre ces raisonnements. Il en est de même pour notre méthode, qui répond à tous ces critères de scientificité : son informatisation est garante d'une formalisation rigoureuse jusque dans les moindres détails ; elle s'appuie sur des travaux de recherche (ayant fait l'objet d'une thèse d’Etat1), qui permettent d’anticiper et de prévoir les évolutions de l'entreprise ; elle donne des résultats indépendants des personnes qui la mettent en œuvre.

Ce qu'il importe le plus d'identifier, ce ne sont ni les données extérieures ni les ressentis individuels, mais bien l’écart entre les deux. Ainsi par exemple, nous avons observé qu'une tâche considérée par l'encadrement comme accomplie de façon correcte laisse souvent insatisfaits les employés qui l'ont effectuée ; ce paradoxe s'explique par le sentiment, de la part de l'employé, de ne pas avoir pu donner toute sa mesure ni déployer pleinement son savoir-faire, faute de conditions optimales de travail et en particulier faute de liberté d'initiative. Dans ce cas de figure, l'absence de correspondance entre le point de vue de l'employé et celui de sa hiérarchie, loin d'être anodine, peut être à l'origine de dysfonctionnements majeurs : en effet, si ce hiatus n'est pas identifié et résorbé, si l'employé n'obtient aucune amélioration des conditions dans lesquelles il est censé s'acquitter de ses tâches, il finit par se décourager, abandonner toute prise d'initiative, se désintéresser de son travail et relâcher tout effort. Identifier la divergence entre les deux points de vue afin de pouvoir ensuite les faire coïncider permet donc d'améliorer de façon significative le fonctionnement de l’entreprise.

Il est temps que la notion de productivité, très proche du tangible, soit remplacée par celle de performance, mieux adaptée aux conditions économiques et sociales nouvelles du XXIème siècle. La performance au sens où nous l'entendons est une notion plus riche que celle de productivité, pleine de potentialités et exprimant des valeurs non seulement financières mais aussi humaines. La performance est l’art d’utiliser la meilleure méthode (l’efficience) de la meilleure façon (l’efficacité). Le taylorisme n’avait pris en compte que la notion d’efficacité, oubliant que l’efficience donne à l’homme le plaisir de se sentir bien fonctionner. N’est-il pas réjouissant, voire même fascinant, de voir un très bon ouvrier ou artisan utiliser au mieux son savoir-faire ? Dans l’économie de ses gestes, dans la facilité apparente avec laquelle il manipule les outils et objets transparaissent toute la richesse des longues heures d’apprentissage, l'acquisition d'une maîtrise technique, l'héritage des expériences accumulées par les générations qui l'ont précédé et dont il est dépositaire et continuateur.
De notre méthode découlent non seulement une nouvelle façon de penser le management mais aussi une philosophie qui peut être appliquée en entreprise... qui doit être appliquée si l'entreprise veut s'adapter aux transformations de la société : le contexte social et économique a d'ores et déjà changé, dans la mesure où la crise actuelle s’apparente à une sorte de révolution qui marquera un avant et un après. Cette philosophie implique de prendre en compte toutes les personnes, sans exception, au sein d'une entreprise. Il s’agit de valoriser tous les éléments de l’entreprise car tous ont un rôle à jouer. Peut-on dire qu'il s'agit de la première des règles à respecter ? En un sens, certes, mais sans oublier qu'une règle isolée de son contexte est sans valeur aucune : c'est la cohérence et la complémentarité entre toutes les parties de la théorie qui lui confèrent sa pertinence.

Les fondements théoriques de notre approche peuvent contribuer à poser les bases d'un management moderne, prenant en compte tous les aspects nouveaux de la société contemporaine, y compris les transformations actuellement en cours suite à la crise financière actuelle. Comme toute théorie, notre approche repose sur des postulats, que nous allons tenter de formuler :

 

  1. toute personne d’une entreprise a un rôle à jouer et doit être prise en compte, respectée et valorisée
  2. sans valeurs commune l’entreprise ne peut ni exister ni survivre
  3. la base de l’entreprise n’est pas la croissance mais la performance
  4. l’innovation fait partie intégrante des valeurs de l’entreprise
  5. toute inertie, blocage ou refus d’évoluer crée une involution mortelle à terme.
  6. l’entreprise doit respirer et échanger avec le monde extérieur faute de quoi elle s’asphyxie.
  7. chaque entreprise est unique et vit sa vie


Dans cette perspective, la gouvernance de l’entreprise devrait avant tout consister à donner une ligne directrice à l’entreprise en tant qu'organisme vivant. Les actionnaires appelés à participer à cette gouvernance devraient partager les valeurs de l'entreprise pour donner un sens au travail qui y est effectué. La plupart du temps, malheureusement, les actionnaires ne prennent en compte que la valeur vénale des actions et la profitabilité immédiate de leur engagement financier, de sorte qu'un véritable fossé sépare leur point de vue des préoccupations du personnel de l’entreprise. Cela explique pourquoi, comme nous l'avons constaté dans les entreprises, il arrive que les employés ne sachent pas qui est leur patron - terme à prendre ici dans le sens bien défini du dirigeant, de celui qui assume la conduite de l’entreprise, de celui qui en impulse la dynamique de vie. Si le seul objectif des actionnaires, dans la gouvernance de l'entreprise, est le cours de l'action, alors l’entreprise meurt rapidement, car ce point de vue est meurtrier.

Une entreprise peut rajeunir, mais non pas en embauchant de nouvelles recrues, ce qui ne serait qu'une illusion de rajeunissement à la manière d'une crème anti-rides appliquée sur le visage. Si l'entreprise est un organisme vivant, il s’agit de le faire vivre ! Pour cela il lui faut trouver un but et une destinée, puis créer une dynamique porteuse, enfin conduire le changement dans un sens qui fasse évoluer les structures, les moyens et les hommes. Mais les méthodes de travail, ne l'oublions pas, sont plus durables que les structures et que les hommes qui composent l'entreprise.

Le rajeunissement concerne la dynamique des flux internes de l’organisme vivant qu’est l’entreprise. Ces flux sont l’expression même de la vie de l’entreprise. C'est dire l'importance fondamentale de la communication et de l’organisation de l’entreprise. C’est au travers de ces éléments que se joue tout l’avenir de l’entreprise. Internet et les modes de communication modernes imposent de réinventer la communication. Il est grand temps de la refonder pour inciter les membres de l' entreprise à se respecter mutuellement et à partager l'information tant sur le plan des valeurs que sur celui des objectifs à atteindre.

Quoi de plus enthousiasmant que de participer au rajeunissement d’un être vivant ? Quoi de plus porteur que de donner ou redonner la vie à un être qui se meurt ? Cette approche devrait pouvoir être intégrée très rapidement par la société. Si elle y parvient, la société actuelle dépassera la crise actuelle, surmontera ses difficultés du moment.

L’avenir passe par le plaisir retrouvé de travailler, de s’épanouir, au sein d'un système qu'il nous appartient de concevoir, fondé sur l'amélioration de la performance plutôt que sur la croissance. De nouvelles sphères s’ouvrent tous les jours à l’esprit humain en quête perpétuelle de découvertes. Qu’il s’agisse de l'exploration du nouveau monde ou de la théorie de la relativité, l’homme est et sera toujours celui qui cherche et met en avant ses découvertes.

Stéphane Solotareff
Diplômé de l’Institut de Haute Finance,
Docteur d’Etat et Ingénieur Sup’Elec,
Président de la société Activmanagement, Paris

1 Dr. Vitalii Smirnov, 2007, Londres, University of Bedforshire, Business Strategy and Organisational Development: Organisational Archetypes and Socio-cognitive Processes in the Frameworks of  Configurational  Approach Directeur Général d’Activmanagement

 
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